Dr Mahathir Mohammed attendu à la conférence de l’émergence à Dakar

Comment ce simple médecin a-t-il pu réussir là où les polytechniciens et les «centraliens» africains, formés en Occident, ont échoué? Pendant que ce pays clé de l’ASEAN se positionnait dans le commerce mondial, l’indus-trie, puis les nouvelles technologies de l’information, l’Afrique, dans sa globalité, soit 11% de la population du globe, stagnait à 2% du commerce mondial et à seulement 1% de l’activité économique.

Pendant deux jours, du 17 au 19 janvier 2019, Dakar, capitale du Sénégal, sera le centre névralgique d’une expression qui résume l’esprit politique de l’époque.

L’émergence, “la fille aux mauvaises fréquentations” comme l’appellerait le professeur Moustapha Kassé, est un concept qui a son prophète et ses apôtres. Parmi les figures de consensus, Dr Mahathir Mohammed, premier ministre de Malaisie, attendue à Dakar dans le cadre de cette conférence aux côtés des présidents Macky Sall (Sénégal), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), Uhuru Kenyatta (Kenya), Roch Marc Christian Kabore (Burkina Faso), Ibrahima Boubacar Keita (Mali), incarne le miracle d’un pays.

Message aux dirigeants

ô dirigeant, participe à la prospérité de tes voisins, éloigne tes enfants du pouvoir et des affaires tant que tu es en fonction, envoie des délégations à l’étranger pour acquérir le savoir-faire, forme les fonctionnaires au management opérationnel, ajoute de la valeur aux matières premières avant de les exporter, lutte contre la corruption en sachant que la corruption zéro est un mythe, appuie-toi sur ta culture et sache qu’il n’y a que le travail qui paye. Ces préceptes du docteur Mahathir Ibn Mohamed, ancien Premier ministre de Malaisie, ont changé la face de ce petit bout de terre du Sud-Est asiatique, parvenu à multiplier son PIB par 22 de-puis son indépendance, en 1957. Ce modèle est-il duplicable en Afrique ?

Voyage à Kuala Lampur

Quinze longues heures de vol depuis Casablanca. Après une escale technique à Tripoli et une halte à Doha, le voyageur du monde arrive hésitant à Kuala Lumpur. Ici, l’objectif du zéro papier ne tient pas du slogan, mais se vit très vite devant le guichet de la police des frontières. A la rentrée comme à la sortie, la formalité se résume en un sourire. Celui de l’hôtesse, fière d’accueillir un hôte plutôt atypique, pas encore au fait du taux de change entre l’euro et le ringgit. Celui de la policière, désappointée d’abord, puis vite ravie par la familiarité africaine, qui ne porte pas de masque anti-grippe H1N1.

La transmission de données informatisées, si décriées aujourd’hui par l’opinion publique mondiale, permet ici de se passer des traditionnelles fiches à remplir. Le tapis des bagages, casse-tête à Orly comme à Dakar, arrive ici sans crier gare. L’Africain, marqué par les rivalités tribales et les concurrences ethniques, ne peut, dès les portes de l’aéroport franchies, ne pas sombrer dans les comparaisons entre son univers, encore chargé de musiques militaires, et ce cadre apaisé.

Parmi les sujets qui étonnent, la coexistence pacifique de différentes ethnies et la qualité des infrastructures. L’aéroport de Kuala Lumpur, ses trains électriques et son design démontrent, si besoin est, que le développement est possible sous les tropiques. Une seule langue, le malais, a été adoptée et sert de cadre d’échanges entre l’ethnie majoritaire malaise, les Chinois et les Indiens. Les différentes sensibilités culturelles ont été préservées, grâce à la mise en place de treize fédérations. C’est l’un des rares pays où le roi est élu sur un siège tournant, vous diront tous les guides touristiques. L’islam reste la religion d’Etat. Dans les usines high-tech et les complexes industriels, le temps de travail est rythmé par des sirènes et, de temps en temps, des appels à la prière. A Proton, «joyau des joyaux» de la Malaisie émergente, à la prière de midi, ingénieurs et ouvriers se confondent dans une course précipitée vers la salle de prière. Il en est de même jusque dans les tours jumelles, de la société pétrolière Petronnas, qui viennent tout juste de perdre leur statut de «tours les plus hautes du monde», depuis celle érigée à Dubaï et allant au-delà du kilo-mètre. Malgré cette assiduité à la prière, les Malaisiens restent un modèle de tolérance. Le pays célèbre les fêtes musulmanes, chrétiennes, chinoises, et hindoues avec le même entrain, les mêmes processions. La barrière religieuse disparait en ces occasions. C’est sans doute là, dans cette harmonie entre ses différentes cultures, et son fédéralisme réussi, que tient le miracle malaisien.

Des avancées économiques majeures

Ce pays asiatique, membre de l’ASEAN, dont 50% de la population vivait en dessous du seuil de la pauvreté au moment de son indépendance, aligne aujourd’hui (mars 2010) un revenu moyen par habitant de 8000 dollars. Les avancées économiques majeures ont été réalisées par les gouvernements successifs du Premier ministre Mahathir Mohamad, lequel gouverna le pays du 16 juillet 1981 au 1er novembre 2003. En mai 2018, le “Tun” est revenu aux commandes, rappelé par le peuple malaisien pour sauver un héritage mis en péril par des mains indélicates. Le miracle malaisien provient sans doute de choix décisifs. L’industrialisation a été préférée à l’agriculture, car présentant un meilleur rendement de l’emploi à l’hectare. Dans cette évolution, c’est surtout l’aspect humain et culturel qui est déterminant. Comment la Malaisie, et l’Asie en général, qui partage avec l’Afrique les mêmes solidarités familiales et les mêmes valeurs, les mêmes difficultés ethniques, a-t-elle pu se transcender?

Les douze leçons du docteur Tun Mahathir Ibn Mohamed

Interrogé lors d’un colloque tenu à Riyadh, en janvier 2009, l’ancien premier ministre malaisien, le docteur Mahathir Ibn Mohamed, qui porte le titre honorifique de «Tun », livre les recettes de son succès.

1.Devise: contribuez à la prospérité de vos voisins, ce n’est pas de l’altruisme, mais du bon sens. Quand vos voisins sont stables et prospères, les échanges économiques n’en sont mutuellement que plus bénéfiques. Les échanges économiques entre les pays de l’ASEAN représentent 70% de leurs échanges globaux, là où les échanges interafricains sont en deçà de 10% du volume global.

2. Stratégie: Look East Policy, ni capitalisme ni communisme, mais pragmatisme. Envoi des délégations officielles à l’étranger pour attirer des capitaux, sans implication dans la politique intérieure.

3-Renforcement des capacités locales en management et en marketing.

4-Appropriation locale et investissement local dans de nouveaux secteurs…

5-importer des matières premières, ajouter de la valeur et les réexporter.

6-Culture: notre démarche nous a conduit 6.à vérifier que la culture était un levier de développement incontournable. D’où, la décision de s’imprégner du système de valeurs japonais et sud-coréen: ardeur au au travail, discipline, sens prononcé de la honte. Nous avons essayé d’instiller ces nouvelles valeurs aux Malais et d’impliquer les femmes, qui représentent la moitié de la population. Nous avons également institué un mode de règlement des conflits équilibré, privilégiant l’arbitrage plutôt que la confrontation. Cela favorise un climat d’investissement apaisé et attractif pour les investisseurs.

7-investissements colossaux dans les infrastructures: rôle capital des infrastructures dans le développement d’un pays. D’aucuns attendent le développement de la demande avant de se lancer dans les infrastructures. Ma conviction: la disponibilité des infrastructures crée la demande… Effets d’entraînement sur tout le reste de l’économie: création d’emplois, demande de ciment, d’acier, en plus de répondre aux besoins de mobilité des populations rurales…

8- Rôles du gouvernement: quand l’Etat investit, ça lui revient sous forme d’impôts. D’où les avantages dans la construction d’infrastructures, même subventionnées. Car, d’une part, il y a la création de richesses à travers le processus de construction et les facilités rendues aux populations et aux hommes d’affaires. D’autre part, il y a un retour sous forme d’impôts et taxes.

9-Réduction de la corruption: la corruption est le principal obstacle au développement. La corruption zéro est impossible. Mais, quand la corruption est partie prenante de la culture d’un pays, alors on ne peut rien faire pour l’endiguer. Une solution intermédiaire consiste à raccourcir les processus et délais de décision. Comment? par l’introduction systématique de manuels de procédures pour tout type de tâche. Des diagrammes de GANTT pour tout fonctionnaire. Le résultat ne s’est pas fait attendre: investissements en hausse, transformation radicale, construction de nouvelles usines. Cela ne veut pas dire que la corruption a disparu, mais elle n’a pas compromis le développement du pays. Pour réussir à implémenter ces concepts, il est nécessaire de se doter d’une administration compétente, avec des formations pour tous les domaines intéressant les fonctionnaires.

10-Planification: à défaut d’une coordination des activités et d’une cible, tous les efforts seront vains… Adopter une planification sur cinq ans, durant la première étape, comme l’ont fait les pays communistes. Puis, passer à une planification sur une période de 10 à 30 ans. Les plans fixent les responsabilités. L’exécution des tâches et la mesure des résultats sont attendus de chaque département et de chaque fonctionnaire. Des évaluations à mi-parcours permettent de procéder à des réaménage-ments systématiques.

11-Nécessité d’information dans tous les secteurs économiques. Expérience du war-room. Cela permet de mesurer nos forces et nos faiblesses dans un secteur donné, de déterminer, au niveau international, les fonds disponibles à l’investissement dans ce secteur, la disponibilité des infrastructures, de la main d’œuvre.

12-La Malaisie a pu réussir en s’appropriant 12.les méthodes de travail et l’éthique du travail des pays les plus compétitifs. Le succès de la Malaisie c’est le travail!

Mahathir Mohamed, le parfait modèle de l’asiatisme

Que retenir du si autoritaire Premier ministre malaisien, admiré par les Malaisiens de tous bords? Les quelque 300 000 entreprises étrangères recensées aujourd’hui dans le pays ne seraient pas là, si une loi de 1986 n’avait pas fait voler en éclats les restrictions sur le contrôle des entre-prises par des étrangers.

Du pur pragmatisme de la part de ce grand nationaliste, qui a réussi à faire construire une voiture 100% intégrée dans un pays dont les imams hésitaient encore, il y a quelques années, à utiliser l’électricité dans les mosquées à cause de son origine non musulmane. Très attaché aux spécificités culturelles, Mahathir déclinera les recettes du FMI, y compris, en 1997, lors de la crise asiatique, quand l’économie malaisienne s’effondra lourdement.

Le docteur sacrifiera son ministre des Finances, plus libéral, mettant le cap sur le «capitalisme asiatique», où l’Etat ne se cantonne pas seulement au rôle de gendarme, mais planifie, investit et contrôle l’industrie. L’Etat malaisien est, aujourd’hui encore, actionnaire dans les grands pôles industriels et immobiliers du pays. Porte-drapeau de l’asiatisme, cette pensée non conceptualisée qui veut que l’Asiatique préfère l’ordre avant la liberté, l’ancien Premier ministre n’a jamais été un parangon de la démocratie. Pourtant, l’un de ses opposants les plus farouches loue, avec le recul, son patriotisme et cette interdiction faite à tous les membres de sa famille de faire de la politique ou des affaires. Une ligne de conduite qui ferait difficilement écho en Afrique…

 Adama Wade

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